En langage nerd, on appelle ça une “killer application” — un truc mortel, l’application qui tue. Et pour le coup elle porte bien son nom. Il s’agit d’une «puce
tueuse» commandée à distance par satellite… Le procédé, décrit il y a trois semaines dans quelques dépêches, paraît simple comme bonjour: une puce électronique qui contiendrait un récepteur GPS,
un composant assez minuscule pour être injectée sous la peau, et qui permettrait de suivre à la trace un individu afin par exemple qu’il ne dépasse pas certaines limites géographiques. A ce stade
là, rien de bien nouveau.
En matière de géolocalisation judiciaire, le principe du bracelet électronique mobile, inscrit depuis presque 3 ans dans le code de procédure pénale français, revient à peu près au même résultat.
Mais si cette invention a, parait-il, été retoquée par l’Office allemand des brevets, le DPMA, c’est pour son application finale: le dispositif contiendrait une capsule de poison — du
cyanure, par exemple —, et une fois qu’un certain périmètre serait dépassé, la puce serait capable de libérer une dose létale afin de foudroyer sur le champs le contrevenant
Nous n’avons pas encore pu mettre la main sur la description exacte de cette demande de brevet, qui émanerait d’un inventeur saoudien
— les sources sont imprécises, voire mystérieuses. Les finalités décrites ici et là évoquent le fait de surveiller pas mal de monde… Fox News s’en réjouit d’avance : «Terroristes,
criminels, fugitifs, immigrés clandestins, dissidents politiques», et même du «personnel de maison» d’origine étrangère qui dépasserait la limite de validité de son permis de
séjour…
En matière de débouchés vicieux à la géolocalisation, c’est un concours Lépine permanent. Surtout avec l’arrivée en fanfare des “perfides”, les puces d’identification par radio-fréquences
(RFID), qui peuvent être déclinées pour être détectables par à peu près tous types de réseaux télécoms. Au début des années 2000, la société Applied Digital Solutions sortait un de ces produits
miracles que les accros du NASDAQ affectionnent particulièrement: Digital Angel. Une puce de type RFID de la taille d’un grain de riz, à injectée sous la peau. Sa première application, malin,
était réservée aux… animaux de compagnie. Il n’était pas question, ô grand jamais, de l’autoriser sur des êtres humains.
Mais chemin faisant, les autorités sanitaires (Food and Drug Administration) ont accepté, en 2004, de valider leur application sur l’homme dans des «circonstances particulières». Comme, par
exemple, pour garder une trace sur sa progéniture ou une personne âgée. Aujourd’hui, la société — rebaptisée Digital Angel, Inc. — est sous le contrôle d’un autre géant du secteur, Verichip,
celui-là même qui est parvenu à obtenir le feu vert de la FDA pour “pucer” des êtres humains. Après l’utile, l’agréable: une boite de nuit de Barcelone continue de se faire mousser pour proposer
la puce sous la peau en guise de carte de membre…
Bien entendu, cette seconde étape repose sur le consentement de la personne, ou tout du moins sur celui de ses responsables légaux. Dans certains hôpitaux français, outre des tentatives
de “protéger” les nouveaux nés contre le rapt de bébés, en leur imposant des bracelets RFID, il est prévu d’équiper des mêmes bracelets toute personne se présentant aux urgences. Il n’est pas
encore question de les injecter d’office, dans le bras… Ça viendra. Les responsables mettent en avant le caractère “volontaire” de cet étiquetage, même si en arrivant aux urgences, le
discernement nécessaire pour accepter un tel dispositif peut laisser à désirer.
En 2007, un collectif d’éleveurs de brebis s’oppose au ”puçage” obligatoire de leurs troupeaux. Une directive européenne oblige en effet, sous peine de ne plus recevoir d’aides de
l’Union européenne, les bergers à radio-identifier leurs bêtes. «On sait que l’on fait d’abord aux bêtes ce que l’on fait ensuite aux hommes, en commençant par les plus faibles et démunis :
les enfants, les vieux, les malades, les SDF, les nomades, les étrangers, les prisonniers», écrivaient-ils en octobre 2007, dans un inventaire à la Prévert que ne renierait pas notre cher
inventeur saoudien! (La revue Z en parle dans son numéro 1).
L’étape suivante, après s’être assuré que l’être humain vaut autant qu’un animal lorsqu’il s’agit de «sauver des vies» — argument déjà entendu du côté de fabricants d’armes dites «non
létales» comme le pistolet Taser — consiste ensuite à envisager des applications «non désirées», c’est à dire contraintes par la volonté d’une autorité supérieure, judiciaire, politique ou
économique. Exemple parmi tant d’autres, iSecureTrac — une balise satellite spécifiquement dédiée au repérage de délinquants en tous genres.
En France c’est début 2004 que le Parlement lance ses premières études sur la SEM, la “surveillance électronique mobile” — à différencier du bracelet “fixe”, instauré un peu plus tôt; et son
premier “bénéficiaire” sera équipé en août 2006.
Dans cette histoire de “puce tueuse”, la question n’est donc pas de se réjouir de la décision de l’office allemand des brevets — c’est sur des bases d’éthique et de morale que le DPMA à
refusé d’enregistrer cette bien belle invention. L’enjeu est bel et bien de repousser les limites de l’«acceptable» — donner la mort à distance en appuyant sur un bouton, quelle horreur…
— , afin de convaincre la population que tout le reste l’est, «acceptable»… En agitant le chiffon rouge autour d’une application ouvertement scandaleuse de la géolocalisation, on s’assure
que le principe de surveiller un individu en permanence, lui, n’est même plus discutable — il passe d’autant plus comme une lettre à la poste. Et chacun sait que le curseur de la “moralité”
répond à une géométrie variable facilement manipulable au gré des menaces ou des peurs qu’un Etat est capable de distiller dans la population.
Aux Etats-Unis, la “moralité” a ainsi poussé l’USPTO, l’office des brevets et des marques, à accepter l’invention de la société canadienne Lamperd FTS, un confrère de Taser, qui a conçu
un bracelet RFID destiné à immobiliser à distance (pas à tuer, quand même — pas encore) des dissidents politiques… Brevet US n°6.933.851.
La face cachée du système OpTag
Autre exemple: OpTag.
Un système financé par la Commission européenne et destiné — finalité première — à pister les «retardataires» dans les aéroports. La carte d’embarquement serait insérée dans un bracelet géolocalisable pour faciliter la “fluidité” à l’embarquement… Pourtant, la fiche technique précise qu’il s’agit aussi de «surveiller et repérer les individus pouvant poser un risque économique ou de sécurité à la gestion effective des aéroports»… Et qu’il serait un jeu d’enfant d’y ajouter une fonction “paralysante” comme celle du bracelet canadien.
Bref, la puce tueuse au cyanure n’a pas encore de brevet. Mais c’est déjà une “killer app” pour l’imaginaire collectif